Ravel Edition

La Valse

La Valse 



Cette nouvelle édition révisée 2022 (Ravel Edition Volume 8) est réalisée sous la direction de François Dru 

Le comité de lecture est composé des chefs d'orchestre et compositeur : Benjamin AttahirJohn WilsonCristian Măcelaru et Barbara Dragan



La première de cette édition révisée a été donnée le 15 septembre  2022 à l'Auditorium de Radio-France par l'Orchestre national de France sous la direction de Cristian Măcelaru. 

Le Matériel d’orchestre et la Partition d’orchestre (PO) sont actuellement disponibles à la vente. Contact : sales@21-music.be 



A la différence de bon nombre d’opus du catalogue de Ravel, l’histoire éditoriale de La Valse est abondamment documentée, avec grande précision en ce qui concerne la chronologie de la rédaction des différents manuscrits ainsi que des premières gravures de la maison Durand. Cela des premiers coups de crayons jetés sur les esquisses en 1919 à la première impression du matériel d’orchestre en 1921. Aussi, fait rare concernant l’étude des sources, tous les manuscrits stipulés par Ravel dans ses diverses correspondances sont accessibles dans deux bibliothèques de recherche : la Morgan Library (New York City) et la Bibliothèque nationale de France [1] à Paris.

L’urgence de la composition, réalisée en quatre mois seulement,  de Wien[2]/La Valse,  projet de longue date d’un « Poème chorégraphique »[3]  selon la déclinaison de l’auteur, pensé dès sa genèse pour le théâtre et non pour la salle de concert,  qui devait initialement être destiné à des représentations des « Ballets russes », pour le mois de juin 1920 au Théâtre national de l’Opéra de Paris, obligea le compositeur, qui avait trouvé refuge bien loin de l’agitation parisienne dans un hameau de l’Ardèche, a achever la rédaction de ses manuscrits avec un calendrier des plus serré. Une audition privée de la nouvelle partition, sous le contrôle de Diaghilev, devait être programmée dès les premiers jours du printemps. Ravel, au cours de ses échanges épistolaires du moment adressées à ses proches,  évoque alors son « turbin », ses longues journées de « boulot », se levant « bien avant le soleil », observant avec ironie des « grasses matinées jusqu’à 7h30 ». Au fil de la correspondance conservée de l’hiver ardéchois 1919-20, entre élans enthousiastes et accès dépressifs, apparaissent les éléments chronologiques suivants  [4]  :

  • Le 20/12/1919, il écrit à Lucien Garban : « je m’arrache au plaisir de la danse pour vous répondre (...) »
  • Le 22/12, à Roland-Manuel : « Je retourne à Wien. Ça gaze. J’ai pu enfin démarrer, et en 4e ».  
  • Le 06/01/1920, à Mme Fernand Dreyfus : « (...) en ce moment, je valse frénétiquement ; j’ai commencé à orchestrer le 31 décembre. »
  • Le 10/01, à Misia Sert : « Maintenant, parlons de Wien... Pardon, ça s’appellera maintenant La Valse (...) Mon poème chorégraphique sera sans doute terminé, et même orchestré, à la fin de ce mois, et je pourrai le faire entendre dès ce moment à Diaghilev ».
  • Le 13/01, à Nicolas Obouhow : « (...) je suis en train d’orchestrer ma Valse viennoise »
  • Le 26/02, à Lucien Garban : « J’ai donné ce matin au facteur le manuscrit de la Valse pour piano deux mains. (...) Pourvu que ça ne se perde pas ! Je n’en ai aucun brouillon ».
  • Le 28/02, à Georgette Marnold, « je commence à mettre la partition d’orchestre au net ».
  • Le 06/04, à Lucien Garban : [il indique avoir adressé 28 pages d’orchestre le 3 avril chez Durand]
  • Le 06/04, à Georgette Marnold : «28 pages d’orchestre sont déjà expédiées ; j’en suis à la 40ème ». 
  • Le 13/04, à Georgette Marnold : « Ouf ! J’ai terminé hier soir – 75 pages (...). Il me reste à revoir ma partition – j’en ai pour la journée (...). »
  • Le 14/04,  à Lucien Garban : « J’ai terminé la copie aujourd’hui (...). Je quitte Lapras jeudi, et apporterai  le reste de l’orchestre ».

A l’étude des différents manuscrits musicaux conservés, les dates suivantes sont mentionnées en dernière page, près de la signature du compositeur et de la localisation de « Lapras » : la partition pour piano solo porte la période de décembre 1919 à février 1920. Quant au manuscrit à l’encre de la copie de l’orchestration, nous lisons : « décembre 1919 – mars 1920 ». 

D’étrange manière, les deux manuscrits conservés à la Morgan Library de la Réduction – « transcription » selon la terminologie usitée par Ravel – pour deux pianos n’indiquent pas de dates de début et fin de rédaction.  Ces travaux menés en parallèle,  des versions en blanc et noir nécessaires à l’audition butoir pour les Ballets russes ainsi qu’aux préparations de la chorégraphie, complétées par la mise en couleur de l’orchestration,  furent donc menées simultanément. On trouve sur les parties pianistiques plusieurs mentions de noms de pupitres de l’orchestre qui venaient éclairer tel trait ou fusée dans l’écriture à deux portées bien souvent trop minces pour contenir toute la richesse du texte. 

Même si l’épisode du rejet de la partition par Diaghilev demeure peu explicité, nous savons clairement qu’une audition pianistique intervint en mai 1920, et que l’impresario russe refusa la nouveauté[5] . Nous pouvons aisément envisager la frustration du compositeur mais aussi imaginer le soulagement  de son éditeur dans le report de la réalisation d’un calendrier infernal, avec la gravure en simultané de la Valse déclinée sous trois formes

Au fil de la correspondance de l’année 1920, nous apprenons que Ravel reprit sa « Réduction » deux pianos en juin, il avait finalement considéré son premier jet de l’hiver 1919-20 telle une esquisse préparatoire avec des « passages douteux », acheva cette dernière version en juillet en ajoutant  la dédicace à Misa Sert ainsi que l’argument « viennois » du Ballet qui apparaissait ici pour la première fois. En septembre[6] , nous découvrons que le compositeur envisage une première de la Valse  à l’Opéra de Paris pendant que Lucien Garban travaille chez Durand sur le matériel d’orchestre[7]. Toutefois ce dernier, utilisé pour la création, à la salle Gaveau avec l’Orchestre Lamoureux, sous la direction de Camille Chevillard, le 12 décembre 1920[8] , ne put qu’être provisoire et très certainement manuscrit ou sous la forme d’une triviale épreuve, sans qu’il demeure quelque trace que ce soit de ces partitions d’une toute première exécution. Ravel indique le 17 décembre à Lucien Garban : « Que l’on ne grave pas la Valse avant que je revoie la partition ». Et le livre de cotage Durand[9]  indique clairement que la gravure de la partition d’orchestre [10]  et des parties séparées fut achevée en mars 1921 (entrées au Dépôt légal les 19 et 30 mars de la même année) [11] . Nous ne savons donc malheureusement pas sur quelle partition Chevillard dirigea la première audition. Certainement pas sur le manuscrit complet à l’encre qui nous est parvenu, et se présente absolument exempt de tout coup de crayon bleu ou rouge en vue d’une exécution ou même, d’ailleurs, d’un travail préparatoire pour une gravure. L’hypothèse la plus vraisemblable serait qu’il exista une autre partition d’orchestre « étalon » certainement autographe ou de la main d’un copiste, qui fut utilisée par Chevillard au pupitre et par Garban pour la gravure, et qui, vraisemblablement,  contenait aussi des retouches et corrections de la main de l’auteur post première. Un document essentiel maintenant disparu ou qui fut détruit afin d’éviter toute confusion chez l’éditeur dans la manipulation des différentes épreuves (et qui ne fut pas conservé par Ravel [12] ...). 

Témoignage contemporain de cette création, les archives de l’Orchestre Lamoureux conservent encore un matériel complet Durand, issu du premier tirage, et qui porte sur les pages de couverture les dates d’exécution ajoutées par les musiciens sur leur pupitre[13] . Un support essentiel afin de considérer les corrections, repentirs, l’effectif des cordes en usage[14]  ou la fameuse modification du divisi initial des contrebasses qui fut aussi adoptée lors de ses exécutions par Manuel Rosenthal

Par le travail de comparaison du texte musical sur les différents manuscrits disponibles, nous avons insisté sur l’analyse d’un document qui, à notre sens, n’avait pas encore trouvé de réelle valorisation. Celui des esquisses orchestrales, qui furent en la possession de Roger Désormière[15] , et dont l’étude apporte un passionnant éclaircissement sur les intentions premières de l’auteur.  Nous savons les réticences et le peu d’appétence scripturale de Ravel à recopier dans l’urgence ses partitions, doublées de sa propension à oublier des mesures entières ou moult détails orchestraux sans jamais revenir dessus[16] . Eléments que nous avons pu constater, une nouvelle fois  à la lecture de ce travail préparatoire très avancée, avec des variantes instrumentales que nous avons souhaité présenter dans cette édition révisée 2022. 

Aussi, complément indispensable, c’est avec soin que nous avons considéré les notes, corrections et interrogations de deux contemporains de Ravel dont les partitions ont pu nous parvenir : celle de Charles Münch [17] , qui introduisait à merveille la « souplesse rythmique » tant souhaitée par l’auteur[18] jusqu’à l’apocalypse final et son brutal effondrement, ainsi que celle de Roger Désormière[19]  dont nous regrettons vivement qu’il n’ait put graver de version discographique de l’œuvre. En complément, les notes de Pierre Boulez[20]  sur sa partition de poche confortent les corrections de ses aînés, essentiellement sur les instruments transpositeurs

Il restera aux exécutants de 2022 à retrouver le « chic » voulu par Ravel dans l’interprétation de cet hommage à la Vienne des bals impériaux, qui entendit depuis la salle ou au pupitre,  les cordes parsemer les traits mélodiques de glissades et autres portamenti, selon le goût et les codes d’exécutions en vigueur du début du XXe siècle. A l’exemple de l’enregistrement 78 tours de Philippe Gaubert à la tête de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire en 1927, l’une des toutes premières gravures de la partition [21].   

François Dru - Août 2022   (Reproduction intégrale ou partielle interdite sans l'autorisation de la Ravel Edition). 

[1]  Dans le fonds Lehman de la Morgan Library sont déposés trois manuscrits distincts  à l’encre : celui de l’orchestration à l’encre (75 pages) (R252.V214 – 115541), deux pianos [esquisses] (22 pages) (R252.V214 – 115544), deux pianos (25 pages – avec mention de l’argument rédigé du Ballet et la dédicace – document qui appartint à L. Garban) (R252.V214 – 115543). La Morgan Library, fonds Mary Flager Cary, possède aussi le manuscrit pour piano seul (R252.V214 – 115542) qui peut être lu librement sur le site de la bibliothèque. A la BnF – Département musique –  sont conservées les esquisses orchestrales complètes au crayon qui étaient en la possession du chef Roger Désormière (MS-17140).  Selon le catalogue de « l’Exposition hommage à Maurice Ravel » organisé par l’Orchestre national de Lyon en 1987, il figure « 12 pages  d’orchestre séparées » dans la Collection privée Madame Alexandre Taverne.

[2]  Titre initial. Dans la bibliothèque musicale de Ravel, on trouve les partitions « viennoises » suivantes (pour piano solo) de Johann Strauss II : Kuss-Walzer op. 400 BnF VMA-3145(2), Myrthenblüten RV 395 VMA-3145(16) et Frühlingstimmen VMA-3145(13). Si Ravel évoqua clairement la valse viennoise comme source principale d’inspiration, nous entendons l’influence directe de la Rapsodie viennoise Op. 53 n°3 de Florent Schmitt ou de la Grande Valse di bravura Op. 6 de Franz Liszt. Un critique à la création de la Valse a mentionné une ressemblance avec la Valse infernale de Robert le Diable de Giacomo Meyerbeer…

[3]  Annoncée par la presse comme « Symphonique » lors de sa création.

[4]  C.f. René Chalupt, Ravel au miroir de ses lettres, Robert Laffont, Paris 1956. Maurice Ravel, Lettres, écrits et entretiens, Flammarion, Paris 1989.  Maurice Ravel, L’intégrale, Le Passeur, Paris 2018. Catalogue de la vente des Archives Lucien Garban, 8 avril 1992 ; Drouot-Richelieu, Paris.

[5] Les premières auditions de cette saison russe 1920 furent les néoclassiques Ballets Pulcinella de Stravinsky et Astuce féminine de Cimarosa/Respighi. La Valse entra au répertoire du Ballet uniquement en novembre 1928, en parallèle à la création de Bolero,  sur l’initiative d’Ida Rubinstein et ses productions à l’Opéra de Paris.

[6] Lettre du 26 septembre 1920 à Ida Godebska.

[7] Lettre du 9 septembre 1920 à Lucien Garban. Ravel évoque dans ce courrier une explication jointe concernant « un trémolo gênant », document qui demeure malheureusement inédit.

[8] Le même jour et à la même heure, Philippe Gaubert dirigeait les 5 Pièces de Ma Mère l’Oye au pupitre de la Société des Concerts du Conservatoire.

[9] Reproduit par Nigel Simeone in Mother goose and other golden eggs : Durand Editions of Ravel as reflected in the firm printing records. IAML Publications UK, 1998 Vol. 35 n°, pages 58-79.

[10]  Publiée pour son premier tirage à deux cents exemplaires

[11] La version pour piano solo fut imprimée en novembre 1920, à la même date que la version piano quatre mains. La Réduction pour deux pianos fut gravée en décembre de la même année et avait été créée à Vienne, Kleiner Konzerthaussaal, par le compositeur et Alfredo Casella le 23 octobre 1920 avant la première de la version orchestrée. 

[12] Selon le référencement de la bibliothèque musicale de Ravel issue de sa maison de Montfort-l’Amaury, qui entra dans la collection de la BnF en 1975. D’étrange manière, il ne subsiste aucun exemplaire imprimé de la Valse ayant appartenu à Ravel.

[13]  Une partie de Violon 1 (6ème pupitre) mentionne la date du 12 décembre 1921 [sic] ainsi que celle du 23 novembre 1924. Un concert dirigé par Paul Paray qui présentait, entre autres, La Symphonie K. 550 de Mozart et le Prélude à l’Après-midi du faune de Debussy. 

[14]  Sur les photos de l’Orchestre Lamoureux à la Salle Gaveau, à l’exemple de celle qui fut utilisée en illustration du programmes des Concerts Durand de 1910, on aperçoit clairement, malgré l’exiguïté du plateau – qui présentait encore son orgue – 16 premiers violons à 8 contrebasses. 

[15]  Sans que nous connaissions le cadre d’obtention de ce manuscrit, avec une date d’entrée en la collection de la BnF en 1972 (l’essentiel de la collection Désormière fut déposée en 1969 à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris). Nous savons que Ravel appréciait tout particulièrement le chef et compositeur.

[16]  « De son œuvre, il se désintéressait pourtant : dès qu’une partition était écrite, elle n’était plus sienne. Cette désaffection explique la facilité avec laquelle il laissait transcrire ses compositions pour flûte, trompette ou petit orchestre de café ». in Hélène Jourdan-Morhange, Ravel et nous, Éditions du Milieu du Monde, Genève, 1945. Le 10 janvier 1923, Ravel écrit à Garban : « (...) en étudiant – très peu – mes partitions (Valse et Ma Mère l’Oye) j’y ai découvert pas mal de fautes que je prends en note. J’en trouverai certainement d’autres, et vous en communiquerait le paquet ». Catalogue de la vente des Archives Lucien Garban Op. cité.

[17]  PO grand format Durand D.&F. 9885 de 1921 (Collection particulière Jean-Philippe Schweitzer). Münch possédait aussi un partition de poche – D.&F. 10 080 de 1925 -  issue de la « Bibliothèque musicale de Rhené-Baton »

[18]  Satisfecit de Ravel adressé à Ernest Ansermet après l’avoir entendu diriger cette œuvre

[19]  Partition in 16 Durand D.&F. 10 080 de 1947 (Fonds Roger Désormière – Musée de la Musique, Paris). Désormière possédait aussi une partition de la réduction pour piano seul Durand D.&F. 9871 de 1947.

[20] Partition in 16 Durand D.&F. 10 080 de 1947 (BnF 4-VM FONDS 148 BLZ-416 (1 et 2).

[21] Enregistrement 78 tours Columbia 12502 du 7 mai 1927. Réédition en CD au label Alpha 801 (2006).



Crédits photographiques :  Adriane White &  Christophe Abramowitz


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