Ravel Edition

Rapsodie espagnole

Rapsodie espagnole



Cette nouvelle édition révisée 2023 (Ravel Edition Volume 10) est réalisée sous la direction de François Dru 

Le comité de lecture est composé des chefs d'orchestre et compositeur : Fabien GabelLudovic Morlot, Alain Parîs,  Benjamin Attahir



La première de cette édition révisée a été donnée le 9 novembre  2023 au Symphony Hall de Detroit (USA) par le Detroit Symphony Orchestra sous la direction de Fabien Gabel.

Le Matériel d’orchestre et la Partition d’orchestre (PO) sont actuellement disponibles à la vente. Contact : sales@21-music.be 



Mars 1908. Si la veine hispanisante continuait, depuis plus de trente années après la première de Carmen, de faire les délices des publics parisiens ou monégasques[1], l’Espagne rêvée du jeune Ravel était alors toute autre que les espagnolades en vogue. A la thématique ibère, au baudelairien « Au pays parfumé que le soleil caresse »[2] , qui accompagnait le musicien depuis 1895, et les impressions nocturnes de sa pianistique Habanera issue des Sites auriculaires, il proposa au public parisien dominical du Théâtre du Châtelet, le 15 mars 1908, sa première grande œuvre orchestrale qui allait devenir une référence cardinale. Roland-Manuel, en 1928,  nota : «  Dans la Rapsodie espagnole retentit pour le première fois cet orchestre nerveux, félin, dont la transparence et le netteté sont exemplaires ; dont la sonorité joyeuse et sèche est comme la marque de Ravel (...) »[3] . A l’exception de l’Ouverture Shéhérazade de 1899, « mal accueilli »[4]  par le public, l’échec cuisant, en février 1907, de l’orchestration d’Une Barque sur l’océan [5][6] , en laissant de côté l’écrin sonore du cycle pour voix et orchestre Shéhérazade de 1903;  cette Suite, en quatre mouvements, pour un très vaste orchestre fut le premier manifeste déployé de la maestria orchestrale de Ravel.  De sa genèse, il ne demeure que très peu d’éléments : Arbie Orenstein[7]  précise toutefois la date d’octobre 1907[8] , « l’année espagnole » de Ravel qui composait en parallèle la future Heure espagnole. Année qui apparaît effectivement en exergue de l’édition Durand de la Réduction piano quatre mains (D.&F. 6999, première publication en mars 1908[9] ). 

Quant à l’orchestration, par la datation autographe qui figure sur l’ultime mesure du manuscrit orchestral[10]  de Feria : « janvier-février 1908[11]  », nous saisissons pleinement le caractère de labeur de la fin de l’hiver 1907-08 afin d’achever la version orchestrée de cette Rapsodie sans h, exprimée, à l’ exemple des propos de  la lettre du 3 mars 1908, adressée à son confrère – et néanmoins -  Ralph Vaughan Williams : « (...) J’ai eu un travail affolant ces derniers temps. Ma Rapsodie espagnole doit passer chez Colonne le 15 mars. La 4ème partie seulement était orchestrée !(...) ». [12]  Si le contexte d’écriture  de ces scènes espagnoles reste à documenter, la création fut abondamment commentée par la presse musicale. Louangeurs et contempteurs firent, dans leurs colonnes, une place non négligeable au compte-rendu du nouvel opus du jeune musicien qui passa alors, d’échecs successifs en scandale, vers de nouveaux traits décochés polémiques. De cette querelle d’anciens et de modernes qui commentèrent les sifflets du parterre et bravos du poulailler, les amis de l’auteur qui réussirent tout de même à faire bisser l’entraînante Malagueña, on reporta, pendant les répétitions et le concert [13],   le mécontentement des musiciens de l’orchestre devant les difficultés de la partition, le « trop de sourdines »[14]  des cordes ou l’effet moqué de « sourdine progressive » des cuivres[15]. 

Ravel, lui-même, nota dans une lettre du 25 mars 1908[16]  : «(...) Telles des pintades, les répétitions, corrections, réductions, etc. me laissent un moment de répit. Mais je les perçois revenir, turbulentes (...) ça s’est bien passé Dimanche, Colonne s’est montré plein de dévouement, d’habilité, et le public de chaleur. Les critiques sont plus tièdes, mais c’est moins important, sauf votre respect (d’ailleurs, ceux favorables ne sont pas en cause, bien entendu). La Réduction va paraître très prochainement, pour 1 piano 4 mains ». 

Nous savons que la première gravure de la « Partition d’Orchestre » Durand (D.&F. 7128 – premier tirage à cent exemplaires), doublée des « Parties Séparées » (D.&F. 7124), sortirent en juillet 1908 de l’Imprimerie Chaimbaud, avec des poinçons de l’artiste graveur Charles Douin.

Selon les usages, l’éditeur détruisant ce qui n’est pas définitif, il ne demeure trace du matériel initial et temporaire utilisé pour la première de l’œuvre. Seuls de cette création, sous la baguette du vénérable Edouard Colonne[17], restent, directement sur le manuscrit, des coups de crayons bleu ou rouge pour aider à l’exécution, doublés de mentions à l’encre rouge (de Colonne ou du responsable éditorial de Durand ?) afin de corriger erreurs de copies, recopies ou modifications des indications du compositeurs (le récurrent cas, aperçu sur des manuscrits postérieurs de Ravel,  des sourdines pour les cordes solistes alors que le tutti des cordes joue sans sourdine...). Aussi, sur ce papier à musique de trente portées, avec la fine écriture de Ravel, fait rare, à l’encre violette, d’une grande qualité graphique qui permet, sans hésitation de distinguer, par exemple,  toutes les subtilités de l’écriture des cordes dans ses multiples divisions ; on aperçoit aussi les indications, au crayon de bois, en préparation de la gravure (comptage du nombre de portées par page, corrections, répartition des instruments de la « Batterie », etc.). Sur chaque cahier qui compose l’ensemble de la suite, à chaque première page, marque légale, apparaît le tampon encreur de Durand & Fils[18] .

Les orchestres associatifs parisiens, qui firent tant pour la gloire de Ravel, possèdent en leur bibliothèque, des matériels qui furent acquis dans les années 1920. Celui de l’Orchestre Lamoureux présente une première utilisation en 1926, dates similaires pour l’Orchestre Colonne, ce qui pourrait nous indiquer un nouveau tirage du matériel dans les années 1920[19] . Parmi les corrections apportées, de manière manuscrite dans les parties séparées, figurent, en autres, les mesures manquantes du tuba ou des contrebasses, les substitutions erronées entre la seconde clarinette et celle basse, ou la réattribution des éléments de la « Batterie » afin de limiter le nombre d’exécutants de cet effectif pléthorique.  Il ne reste, malheureusement, pas d’explications en forme de corrections sur le célèbre chiffre 19 de la Feria : avec l’épineuse question de la correspondance métrique entre les épisodes, différente de la version piano à l’orchestre, et le cas étrange du motif de ritournelle manquant à l’orchestre mais qui apparaît clairement sur la version préparatoire pour piano.

François Dru - Novembre 2023  (Reproduction intégrale ou partielle interdite sans l'autorisation de la Ravel Edition)

[1] Espada de Jules Massenet fut créé en février 1908 à l’Opéra de Monte-Carlo. Tandis que retentissait, toujours en février,  à l’Opéra-Comique de Paris (Salle Favart), La Habanera de Raoul Laparra. A l’opposé stylistique, en 1908, Debussy achevait Iberia qui ne fut pas donné avant 1910. La pianistique Soirée dans Grenade, du même auteur, est de 1903.

[2] Mention autographe en exergue sur le manuscrit de la Habanera pour deux pianos de 1895. Yale University Library, GEN MSS 601.

[3] Roland-Manuel, Maurice Ravel et son œuvre dramatique, Les Éditions musicales de la Librairie de France, Paris, 1928.

[4] Roland-Manuel, page 15. Op. cité.

[5]Créée le 3 février 1907, Théâtre du Châtelet à Paris,  par l’Orchestre Colonne sous la direction de G. Pierné. 

« (...) dont les tendances modernes ont été un peu sévèrement accueillies » Revue française politique et littéraire, 10 février 1907, page 40. « L’accueil fait par le public à l’œuvre nouvelle fut ce qu’on en pouvait attendre : applaudissements passionnés des artistes et significative mauvaise humeur de ce public d’amateurs dont les sifflets consacrent  si sûrement les jeunes gloires (...). Émile Vuillermoz,  La Nouvelle presse, 4 février 1907, en Une. 

[6] Avec, déjà , L’Orchestre Colonne sous la direction de G. Pierné. Orchestration que Ravel bannit définitivement de son catalogue après la première, et qui fit un étrange retour sur les pupitres de l’Orchestre Pasdeloup en février 1950, enregistré par le LSO sous la direction de G. Poulet en décembre 1953 (EMI, en CD chez Dutton, en digital chez BNF Collection),  pour être officiellement éditée par Eschig (réf. M.E. 8411) en 1983.

[7] Orenstein Arbie, Ravel Man et Musician, Columbia University Press, New York, 1975. 

[8] Le manuscrit de la Réduction deux pianos fait partie de la Collection Taverne et est inaccessible

[9] Cf. Nigel Simeone in Mother goose and other golden eggs : Durand Editions of Ravel as reflected in the firm’s printing records. IAML Publications UK, 1998 Vol. 35 n°2, pages 58-79.

[10] Carlton Lake Collection, Box-Folder 300, Harry Ransom Center, Austin, Texas.

[11] Graphie originale :  « I II 1908 »

[12] Maurice Ravel Lettres, Écrits et Entretiens présentées et annotées par Arbie Orenstein, Harmoniques, Flammarion, Paris, 1989. [A l’instar de l’orchestration des Tableaux d’une exposition, Ravel débuta donc par la fin et le mouvement plus consistant]. 

[13] Laloy Louis, La Grande Revue, 25 mars 1908.

[14] Lalo Pierre, Le Temps, 24 mars 1908.

[15] « L’ouvreuse », Comoedia, 23 mars 1908. [les trompettes à la conclusion de la Habanera].

[16] Bribes de la lettre reproduites, page 97, dans le Catalogue de la vente aux enchères des « Archives Lucien Garban – Lettres et manuscrits de Maurice Ravel » du 8 avril 1992, Paris-Drouot Richelieu. Plusieurs exemplaires du catalogue sont conservés à la BnF (VMB-6636 ou VMB 6463).

[17] (1838-1910).

[18] « MATÉRIEL D’ORCHESTRE Appartenant à Mrs A. Durand & Fils Éditeurs-Propriétaires 4, Place de la Madeleine, PARIS. 

[19] Charles Münch possédait une P.O. grand format avec la mention « Imp. A. Mounot » donc ultérieure au premier tirage. Leonard Bernstein dirigeait sur une P.O. imprimée en 1938 par les « IFMRP ».


Using Format