Ravel Edition

Tombeau de Couperin

Le Tombeau de Couperin



Cette nouvelle édition révisée 2024 (Ravel Edition Volume XII ) est réalisée sous la direction de François Dru 

Le comité de lecture est composé des chefs d'orchestre : Finnegan Downie DearTeresa Riveiro BöhmPascal Rophé et Alain Pâris, et des musiciens de la Staatskapelle Berlin.



La première de cette édition révisée a été donnée le 18 février  2024 à la Boulez Saal de Berlin par la Staatskapelle de Berlin sous la direction de Finnegan Downie Dear.

Le Matériel d’orchestre et la Partition d’orchestre (PO) sont actuellement disponibles à la vente. Contact : sales@21-music.be 


Si la glorieuse année 1912 fut celle du Ballet, 1919, après la douloureuse interruption de la Grande Guerre[1], a pu s’apparenter pour Ravel à un temps de menus travaux alimentaires avec des mises en couleurs orchestrales de partitions alors en blanc et noir. Alborada del gracioso, maintenant pour grand orchestre, avait donc été créé le 17 mai par l’Orchestre des « Concerts Pasdeloup » sous la direction de Rhené-Baton ;  le même printemps il donna, pour les Ballets russes de  Diaghilev,  des habits orchestraux au Menuet pompeux de Chabrier [2] ; et, sur sa lancée, acheva en juin, selon la date autographe qui figure après la dernière mesure sur le seul manuscrit conservé [3], l’orchestration de quatre des six mouvements du Tombeau de Couperin dont la version originale pour piano seul venait juste d’être créée le 11 avril par Marguerite Long [4]. Nous ne savons exactement qui ou quel évènement déclencha et encouragea ce changement de support pour l’hommage à Couperin, et aux camarades tombés au champ d’honneur, mais la tâche fut rondement menée. 

Ravel comptait certainement sur les fidèles et actifs orchestres associatifs parisiens pour rapidement présenter sa nouvelle mouture. Au regard de l’enchaînement chronologique de ces évènements jusqu’à la lettre conservée du 21 décembre 1919 [5], par laquelle le compositeur interroge Rhené-Baton sur la date de programmation avec les Concerts Pasdeloup, l’hypothèse semble fortement probable d’une demande même du chef français, qui venait récemment d’être nommé premier chef permanent de la formation parisienne, aux réguliers « concerts populaires » donnés les « jeudis, samedis et dimanches à 3h » au Cirque d’Hiver, et qui ne pouvait manquer d’être associé à l’un des compositeurs les plus en vue [6]. Fait coutumier de ce temps où les concerts symphoniques étaient aussi nombreux que les diverses sociétés musicales et les taxis sur les grands boulevards, les programmes étaient concoctés hâtivement, les communications par voie de presse publiées de très tardive manière [7], et les « nouveautés » s’inséraient entre les prestations de solistes disponibles en dernière minute ou flanquées de partitions célèbres du répertoire censées assurer le remplissage de la salle.  Si l’on consulte le programme de salle du 28 février 1920 [8], pieusement conservé par l’Orchestre Pasdeloup de 2024, la classification Suite n’apparaît pas [9]. Lors de cette matinée à l’allure d’un concert historique d’œuvres du XVIIIe siècle, où le Tombeau de Couperin fut présenté en troisième position [10], est mentionnée la première version en six mouvements d’avril ; et à celles ou ceux qui s’interrogeraient sur la disparition de la Fugue et de la Forlane, il est précisé : « Depuis [la première de la version pianistique], l’auteur de Daphnis et Chloé a orchestré le Prélude, la Forlane, le Menuet et le Rigaudon, sans transcrire la Fugue, ni la Toccata dont l’écriture, si merveilleusement adaptée à l’esprit du clavier, aurait perdu, dans une traduction orchestrale, sa couleur caractéristique ». Ou commentés postérieurement avec parcimonie par Roland-Manuel : « les autres morceaux n’ayant pas été jugés susceptibles d’orchestration »[11].

L’unique manuscrit orchestral existant, et donc conservé dans la collection Robert O. Lehman de la Morgan Library à New York, est composé d’un cahier de vingt-six pages, de dimensions 45x35cm, avec un papier de quarante portées par feuillet. En plus de la belle et fine écriture à l’encre noire de Ravel, avec des têtes de notes d’une hauteur d’un millimètre, on aperçoit aussi sur ce document quelques corrections et repentir à l’encre violette ou au crayon bleu.  Toutefois, on ne trouve que très peu de notes ou mentions éditoriales (repères habituels, comptage du nombre de portées par pages pour l’optimisation, indication sur la première page de l’identité du graveur, imprimeur, etc.), sans aucune référence à la maison Durand légalement propriétaire du manuscrit, ni mention d’un numéro de publication dans le catalogue de l’éditeur. Un autre manuscrit, utilisé par le chef à la création et entré après février 1920 en la possession de Durand afin de réaliser les travaux de gravure a-t-il existé ? Nous n’avons malheureusement trouvé aucune trace ou mention d’un tel document…

Sujet de débat parmi les interprètes, nous avons pu relever lors de cette étude philologique que les indications métronomiques, identiques à celles mentionnées dans la première gravure Durand, apparaissent clairement sur les deux premiers mouvements. le Menuet et Rigaudon final sont, inversement, exempts de références par l’auteur [12]. Aussi, sous la direction de Robinson McClellan, Conservateur à la Morgan Library, le laboratoire de la bibliothèque a pu procéder à une étude photographique afin de relever les sous-couches d’écriture, ce qui a pu permettre de lever certains doutes concernant des erreurs de copie du compositeur [13].

Selon les dates figurant sur son livre de cotage, c’est en septembre 1920 que Durand adressa au dépôt légal la première gravure de l’œuvre (D.&F. 9794 pour la partition d’orchestre et 9812 pour les parties séparées – pour un tirage à cent exemplaires). Et c’est en septembre 1923 que fut imprimée la partition de poche du Tombeau (D.&F.  10398) à hauteur de cinq-cents unités, un volume plus qu’honorable concernant la vente pour un tirage initial. D’après les dates qui figurent sur les différentes partitions de chefs illustres que nous avons pu consulter [14], une nouvelle gravure fut réalisée et imprimée en avril 1944 – avec corrections de certaines plaques – et réimprimée en 1947 et 1953. Quant au matériel, fait étonnant : les orchestres parisiens ne possèdent actuellement plus aucun exemplaire « historique » alors pourtant en vente jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale [15]. Pourtant, le New York Philharmonic Orchestra [16] dispose encore en ses foisonnantes archives, librement accessibles en ligne,  de l’un des rares matériels subsistants de la toute première gravure : des parties de format 33x25 centimètres, avec une couverture sur laquelle figure un étrange dessin de quatre fenêtres enchâssées, et sur lequel on peut observer quelques différences textuelles, bien présentes sur le manuscrit de la Morgan Library, et qui furent donc modifiées sur la gravure de 1944.

Le décalage entre les dates de l’achèvement de l’orchestration et de sa première au concert indique logiquement que le choix de la taille toute mozartienne de l’orchestre, sans cuivres graves, ni percussions, ne fut pas influencé par l’agencement du programme « XVIIIe siècle » choisi par Rhené-Bâton et Wanda Landowska – à une exception notable et détonante sur sa conclusion avec la présence du pléthorique… La Mer de C. Debussy. Ainsi, la présence d’un pupitre de six contrebasses, clairement requis par Ravel sur son manuscrit, cela pour l’unique Musette du Menuet, un lourd effectif pour finalement très peu de mesures, porte encore fortement à discussion si l’on considère l’agencement allégé des timbres, et la faisabilité de la partie des basses à trois exécutants. 

Concernant l’effectif des cordes, sans que nous connaissions celui qui fut initialement utilisé en 1920, L. Bernstein, en 1953, présentait un presque allégé 10-10-8-8-6 [17]. Pierre Boulez sur sa partition de poche, acquise selon l’indication manuscrite du chef/compositeur en 1946, indiqua au stylo rouge dans la marge un 14-12-10-8-6.  Même si, pour la magnifique série de concerts qu’il donna en petit effectif avec les Berliner Philharmoniker en 2003, il revint à un raisonnable pupitre de quatre contrebasses. A l’énigme prégnante du nombre hors norme de violoncelles des esquisses maritimes de Debussy, nous associerons donc maintenant l’interrogation de la présence de cette opulente section contrebasses, à l’inverse de l’idée d’orchestre miniature introduit par Ravel dans ce trésor d’instrumentation. Ravel qui saluait Couperin trouva, le temps d’une création, un allié d’effectif en la personne du compositeur qui avait rendu hommage à Rameau en 1905.

François Dru - Février  2024   (Reproduction intégrale ou partielle interdite sans l'autorisation de la Ravel Edition). 

[1] Ravel fut réformé en juin 1917 et acheva le Tombeau de Couperin pour piano seul, initié en 1914, lors d’une résidence normande entre l’été et octobre 1917.

[2] Qui sera créé en juillet 1919 à Londres par la troupe des Ballets russes sous la direction d’E. Ansermet.

[3] R252.T656 / 115 535, Robert Owen Lehman Collection, Morgan Library, New York City. La même bibliothèque possède dix-sept pages d’esquisses de la version pour piano seul. 

[4] Lors d’un concert de la SMI, Salle Gaveau à Paris, avec les Odes chinoises de G. Grovlez, par J. Bathori, Le Trio à cordes de Roland-Manuel, avec H. Jourdan-Morhange, des Pièces pour violon et piano de Marguerite Gauthier-Villars, et le Quintette de F. Schmitt. Le Figaro du 5 avril signale que la jeune Tatiana de Sanzewitch, début avril, lors d’un concert privé, destiné à l’épouse du Président Wilson en visite à Paris, donna la première audition du Rigaudon à la Maison des étudiantes de l’Université de Paris.

[5] In Maurice Ravel, L’Intégrale, Correspondance (1895-1937) écrits et entretiens, M. Cornejo éditeur, Le Passeur Éditeur, Paris, 2018.

[6] Toute fin décembre 1919 et janvier 1920, Rhené-Baton dirigea à plusieurs reprises Ma Mère l’Oye à la tête de son Orchestre Pasdeloup, et présenta le cycle Shéhérazade avec Gaëtane Vicq, le 5 février 1920 (cf. L’Oeuvre du 2 février 1920, page 44). Le 18 avril 1920, toujours au Cirque d’Hiver, Rhené-Baton, l’orchestre Pasdeloup et Madeleine Grey donnèrent la première des Mélodies hébraïques.

[7] Un avis sur la « première audition à l’orchestre » fut publié le 23 février dans les colonnes de Comoedia, le 25 du même mois pour Le Figaro.

[8] Il faut noter, selon la lettre adressée le même jour depuis Lapras en Ardèche où Ravel orchestrait La Valse (BnF LA-RAVEL MAURICE 70), que le compositeur n’assista donc pas à la première de sa nouvelle œuvre orchestrale. Nous n’avons pu trouver d’autre présentation parisienne du Tombeau avant la reprise en Ballet, au Théâtre des Champs-Elysées, par les Ballets Suédois sous la baguette de D.E. Inghelbrecht en novembre 1920, dans un agencement amputé de son Prélude. Il n’y a donc aucune certitude sur le fait que Ravel ait pu entendre et contrôler in situ son travail avant ces représentations dansées. 

[9] Mention aussi absente sur le manuscrit.

[10] Succédèrent le Concerto italien de J.S. Bach et une Chacone [sic] de Dardanus de J.P. Rameau au clavecin par Wanda Landowska.

[11] Maurice Ravel et son œuvre dramatique, par Roland-Manuel, Les Éditions musicales de la Librairie de France, Paris, 1928

[12] Il est étonnant de comparer avec les minutages soigneusement notés par Olivier Messiaen sur son exemplaire pour piano (BnF RES-VMA MS-1507) : 2’30 – 3’30 – 4’45 – 2’30 – 4’ – 4’ pour une durée totale de 21’15. Le manuscrit piano du Tombeau figure parmi la collection privée Taverne, et nous ne savons donc ce que Ravel avait premièrement mentionné concernant les indications métronomiques.  En complément, au dos d’un carton d’invitation à une exposition de décembre 1922, Ravel a semble-t-il composé un programme de concert et, concernant les mouvements du Tombeau de Couperin, il a pu préciser les minutages suivants : Prélude 4 min. – Rigaudon 4 min. – Menuet 5 min. [pas d’indication pour les autres mouvements] (Source : Dossier de la « Correspondance de Ravel » – NorthWestern University Evanston IL. USA)

[13] A l’exemple, dans le Prélude, mesure 44, partie des Violons 1, du premier ré fautif qui fut gratté et mal corrigé par l’auteur.

[14] M. Le Roux, I. Markevitch, P. Boulez (BnF), C. Münch, L. Bernstein (NYPO Archives), R. Désormière (Musée de la Musique, Paris).

[15] Un rappel général des matériels vers l’éditeur fut-il effectué quand la maison Durand opta pour le système de location ?

[16] C’est W. Damrosch, le 6 novembre 1921, qui donna la première de l’œuvre avec le New York Philharmonic Orchestra (créée aux U.S.A. le 19 novembre 1920 par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de P. Monteux). Ravel avait dirigé sa partition à la tête de la phalange new-yorkaise le 8 mars 1928 lors de sa légendaire tournée américaine.

[17] 10 premiers violons, 10 seconds violons, 8 altos, 8 violoncelles et 6 contrebasses. Cf. la note 14.



CR Images : Theresa Pewal / Orchestre Pasdeloup


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