Ravel Edition

Prélude et Danse de Sémiramis

"Prélude et Danse" de Sémiramis


Cette première édition de cette partition a été réalisée à la demande du New York Philharmonic et du Gustavo Dudamel.

La première mondiale de cette oeuvre sera donnée le 13 mars 2025 par le New York Philharmonic sous la directino de Gustavo Dudamel à l'occasion d"un concert au David Geffen Hall

Sémiramis, "Prélude et Danse" suivi de Scène I – Air de Manassès sera donné en création française en décembre 2025 à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris sous la direction d’Alain Altinoglu.



La langue française, puisant dans les mythes grecques, évoque un fait « qui ne tient qu’à un fil ». En l’occurrence de cette légende babylonienne mise en musique par Ravel, nous dirons que Sémiramis ne tient  qu’à une ligne. Car élément des plus surprenants, sans la mention manuscrite qui figure dans le journal du pianiste catalan Ricardo Viñes (1875-1943), le meilleur ami d’enfance du compositeur, nous serions strictement incapables de préciser l’historiographie de cette partition juvénile conservée à l’état de manuscrit en la maison de Ravel jusqu’à son acquisition en juin 2000 par la Bibliothèque nationale de France

Viñes, à la mémoire photographique, et qui notait avec soin l’activité de ses journées dans son calepin rapporta, le 7 avril 1902, qu’il est allé le matin au Conservatoire de Paris pour entendre la Cantate de Ravel, Sémiramis, qu’a étudiée, répétée et jouée l’orchestre dirigé par Taffanel. Il poursuit en précisant que la famille de l’auteur, le professeur Gabriel Fauré ainsi que des camarades estudiantins assistaient à cette lecture. Le premier réflexe du chercheur afin de trouver traces et commentaires de cet évènement est de se ruer sur les archives de l’abondante presse artistique de l’époque. A l’excitation succède la frustration : strictement rien ne demeure de cette exécution au Conservatoire dans les journaux. Pourtant, Ravel était déjà connu sur la place parisienne; Viñes, deux jours auparavant, venait de créer Jeux d’eau pour piano et les journalistes évoquèrent bien cette première pianistique…  La Bibliothèque nationale à Paris conserve l’agenda du chef Paul Taffanel (1844-1908). A la page de l’année « 1902 », aucune trace, aucune mention de Sémiramis de Ravel. Rien, non plus, ne figure dans les archives du Conservatoire déposées aux Archives nationales... Arbie Orenstein, en 1975, dans son ouvrage cardinal sur Ravel, fut le premier à évoquer cet opus de jeunesse considéré tel un devoir d’étudiant. Au vide quasi complet témoignant de l’existence de cette œuvre, nous revenons sur les mots de Viñes qui précise bien : « le matin ». Quel concert public se déroule le matin en semaine dans les classes d’un Conservatoire ?  A l’inverse d’une exécution publique, il semble maintenant logique que ces pages érigées à une date qu’il est impossible à ce jour de préciser, sur le thème antique imposé du concours du Prix de Rome 1900, furent données pendant la classe d’orchestre, à titre d’expérience de laboratoire, comme l’un des rares moments privés où un jeune compositeur peut entendre sa réalisation à l’orchestre.  

C’est donc par l’heureuse initiative du New York Philharmonic et Gustavo Dudamel, 123 années après, que Sémiramis quitte enfin les murs étroits d’une classe de Conservatoire pour gagner ceux d’une vraie salle de concert. L’opportunité de goûter aux talents orchestraux d’un tout jeune compositeur qui était alors envoûté par les teintes orientales des Rimsky-Korsakov, Borodine ou Balakirev.  

François Dru - Décembre 2024  (Reproduction interdite sans l'accord de la Ravel Edition). 



Le 26 juin 2000 a lieu une vente publique regroupant divers manuscrits et travaux de jeunesse de Maurice Ravel provenant des archives de sa maison « le Belvédère » de Montfort-l’Amaury. Au milieu de devoirs d’harmonie et d’esquisses, une œuvre attire particulièrement l’attention : la mise en musique par le jeune compositeur de vingt-sept ans du début d’une cantate, Sémiramis, sur un livret imposé au concours du prix de Rome 1900. Les connaisseurs les plus avertis de l’histoire de cette institution s’étonneront. Si Ravel s’est effectivement présenté au concours de Rome pour la première fois cette année-là, son élimination dès les phases éliminatoires ne lui ouvrit pas les portes du château de Compiègne, lieu où les candidats finalistes devaient alors composer en un mois une cantate sur un livret inédit. C’est ainsi qu’en juin 1900 le Sémiramis de Florent Schmitt fut auréolé.

Un orageux compagnonnage devait alors lier Ravel et le prix de Rome pour aboutir in fine à un épisode fameux de l’histoire de la musique française, « l’affaire Ravel », un retentissant coup médiatique lors duquel les pro-ravéliens crièrent au scandale à la suite du cinquième et dernier échec de Ravel à ce prestigieux concours académique. Une lecture factuelle des faits permet aujourd’hui de démonter la légende de la grande injustice dont ce compositeur trentenaire déjà très en vue aurait été victime face à un jury vieillissant et sclérosé insensible à son talent. Ravel a en réalité achevé cette année-là sa fugue préparatoire par un aberrant accord de septième majeure non-résolu, hardiesse en forme de pied de nez à ce concours de plus en plus décrié pour son décalage avec la modernité de la création musicale de l’époque.

Quoique critiquée dans son essence (ce genre « faux et néfaste » dira Gabriel Fauré le professeur de composition de Ravel), la cantate de Rome est devenue au fil des ans un exercice à part entière, codifié et comportant des attendus auxquels tout jeune compositeur doit se préparer pour prétendre au titre prestigieux de Grand Prix de Rome.

Une bonne préparation au concours suppose en effet que l’on arrive en loge au château de Compiègne avec des idées musicales que l’on pourra réutiliser d’autant plus facilement que les sujets des livrets presque toujours exclusivement d’inspirations antiques ou orientales favorisent l’usage d’éléments pittoresques aisément réutilisables.

On peut d’ailleurs observer un usage important de l’autocitation dans les cantates que Ravel a composées les années où il a accédé à l’épreuve finale dite du « concours définitif ».

C’est donc selon le principe de l’annale d’examen que Ravel a composé en 1902 une musique sur un livret imposé deux ans plus tôt.

Le Sémiramis de Ravel n’en demeure pas moins une très belle œuvre de concert qui nous montre un jeune compositeur déjà en pleine possession de ses moyens et dont la visée pédagogique rend probablement plus saillants les modèles et inspirations : on reconnaît en filigrane l’orchestre de Rimski-Korsakov et on peut s’étonner d’un langage harmonique qui convoque tantôt Franck et Debussy et dont le spectre de Wagner n’est par moment pas loin.

En définitive, et c’est là le plus important, on entrevoit déjà ce qui va faire la signature si particulière et si géniale de Ravel. On écoute alors ce travail d’étudiant en pardonnant les membres de l’académie des beaux-arts d’avoir été si injustes avec Ravel au concours de Rome : la postérité l’a vengé.

Gagriel Durliat - Décembre 2024  (Reproduction interdite sans l'accord de la Ravel Edition). 



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