Bolero : l’inconnu pourtant si célèbre
May 26, 2019L’Orchestre national du Capitole de Toulouse, qui vient de donner la version originale “Ballet 1928” de Bolero, sous la baguette de Klaus Mäkelä, a demandé à François Dru, responsable éditorial de la Ravel Edition, d’écrire un texte d’introduction, que nous reproduisons ici.
“Si cette formule au trait contradictoire peut surprendre, il demeure une différence vertigineuse entre le foudroyant succès de cette courte pièce orchestrale et la connaissance de son contexte d’écriture ou des premiers mois de son existence. Il convient donc de rappeler que Bolero (sans accent) fut, à sa création à l’Opéra de Paris, le 22 novembre 1928, l’un des courts tableaux d’une soirée de gala de la compagnie Ida Rubinstein. À l’étincelance et tonitruance orchestrale de ce tissu orchestral sans musique (V. Jankélévitch), on a rapidement oublié que ces 340 mesures répétitives composaient un Ballet en I Acte et que les éléments visuels scéniques étaient à partager avec le choc musical issu de la fosse d’orchestre. Deux mois avant sa première, Bolero était encore dénommé Fandango et ne fut que le substitut, composé en catastrophe pendant l’été, à une commande avortée de la grande danseuse russe, qui avait initialement souhaitée des orchestrations de pièces pour piano d’Albéniz. À l’étude du manuscrit orchestral complet de 1928, conservé avec soin à la Morgan Library de New York, quelle ne fut pas ma surprise de constater plusieurs divergences avec la partition habituellement utilisée de nos jours, qui avait été finalement imprimée en toute urgence à l’automne 1929, pour une première « au concert », le 14 novembre, sous la baguette de Toscanini au pupitre de son Orchestre Philharmonique de New York. Ainsi, le célèbre rythme battu par le tambour était en fait partagé, dès les premiers solos, avec un second instrument. Georges Benjamin, à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam en janvier dernier, a démontré à quel point la spatialisation des deux tambours en alternance (placées à l’opposé et non côte à côte) apporte un tout autre relief dans le foisonnement progressif de ce grand crescendo orchestral. Des parties de triangle et de castagnettes – qui devaient être portées sur scène par les danseurs de cette scène espagnole – complétaient la liste des percussions, apportant encore plus de parfums d’Espagne et de fracas à la conclusion cataclysmique de l’œuvre (une partie de tambour de basque initialement prévue dans les esquisses fut finalement abandonnée). Un an après la première du Ballet et la grande tournée européenne du printemps 1929, si Ravel conserva l’entier discours mélodique et la carrure originale de sa partition, il modifia quelques traits de grammaire musicale. À des figures de note plus longues dans l’accompagnement de la mélodie – qui complétaient parfaitement la vitesse Moderato assai demandée expressément par l’auteur – il transforma sensiblement son discours initial vers une rhétorique plus sèche et agressive. Plus de 90 années après la tonitruante première parisienne du Bolero, et au regard du lien très fort avec le répertoire symphonique français toujours défendu avec passion par le flamboyant Orchestre du Capitole, c’est donc la version originale qui marque son retour en France, pour une écoute renouvelée de cette partition devenue universelle.”
François Dru, responsable éditorial de la Ravel Edition.
XXI Music Publishing et la Ravel édition remercient Monsieur Thierry d’Argoubet, Délégué général de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, pour sa confiance.