Le travail sur Bolero par Quentin Hindley
November 4, 2018- Pouvez-vous présenter la version Concert 1929 ? Quel a été votre travail sur cette version ?
La version 1929 correspond à la version orchestrale définitive qui a été retenue par les éditions Durand pour faire la première édition que nous jouons encore aujourd’hui.
Nous nous sommes appuyés sur les esquisses détenues par la BNF et le manuscrit original pour nettoyer les fautes de copie, inhérentes au processus éditorial, et en profiter pour corriger les fautes qui ne l’avaient jamais été grâce à une lettre de Ravel contenant quelques corrections de notes qui n’avaient jamais été prises en compte. Le matériel d’orchestre est ainsi également toiletté. Nous avons cependant modifié 3 choses fondamentales grâce à notre travail de recherche :
- Le Tempo de 72 initialement indiqué est changé en 66, comme Ravel l’a enregistré lui-même et l’a reporté sur sa partition personnelle de la première édition (où il était d’ailleurs imprimé 76).
- La partie de tambour est conforme au manuscrit, c’est-à-dire que les 2 tambours alternent depuis le début et se retrouvent à la fin de la partition. Ainsi, nous laissons le choix aux interprètes d’exécuter cette partie avec un seul musicien ou bien à deux puisque le nouveau matériel le permet.
- Nous avons délibérément ôté le saxophone sopranino en fa qui n’a jamais été joué y compris au temps de la création car c’est instrument n’existe pas. Ainsi, les 3 parties de saxophone originales ont toujours été jouées à 2 saxophones : un soprano et un ténor.
- Quelles sont les différences avec la version Ballet 1928 ?
Par rapport à la version 1928, il n’y a pas énormément de différences dans la mesure où il s’agit exactement de la même pièce avec la même orchestration (hormis les percussions). Les différences sont surtout des longueurs de notes changées, comme la fin des thèmes ou les notes répétées noire avec un point qui sont devenues des croches avec demi-soupir.
- Comment votre expérience de chef d’orchestre a été mobilisée pour ce travail ?
Mon expérience de chef d’orchestre mais aussi celle de musicien d’orchestre pendant de nombreuses années m’ont été d’une grande aide pour faire la différence entre la volonté du compositeur et ce qui relève de la coquille ou de la faute de copie. Il est indispensable d’avoir une très grande connaissance de l’orchestration, de l’harmonie et des partitions d’orchestre pour comprendre la logique du compositeur et déceler les erreurs. Certaines sont évidentes et ont pour la plupart été corrigées à la main par les musiciens eux-mêmes avec le temps, d’autres ont nécessité une analyse et une comparaison des sources. Lorsque je me suis retrouvé devant des situations où il pouvait y avoir un doute, j’ai pris le parti de ne pas prendre de décision à la place de Ravel mais de porter à la connaissance de l’exécutant le dilemme rencontré.
- Comment avez-vous travaillé avec le comité de lecture composé de vos trois confrères Louis Langrée, Alain Pâris et Pascal Rophé ?
Nous avons travaillé de visu et avons beaucoup échangé par mail. J’ai d’abord envoyé mon travail à chacun sans aucune remarque afin qu’ils puissent prendre connaissance de la nouvelle partition sans être influencé. Ensuite j’ai soulevé tous les points qui changeaient de l’édition communément jouée afin d’avoir leur sentiment sur la question.
Concernant les quelques points où le doute subsistait (il y en a très peu !), nous avons parfois pris une décision commune et parfois conservé la version du manuscrit en attirant le lecteur sur ces points.
Tous ces éléments sont expliqués et annotés dans le premier volume de la Ravel Edition.
C’est un travail de recherche passionnant que nous avons mené comme des enquêteurs sur une piste inconnue puisque nous n’avions pas idée au départ de ce que nous allions découvrir et qui nous a permis de remettre la chronologie des faits dans l’ordre, ce qui n’avait jamais pu être fait jusqu’à présent. La rencontre avec Manuel Cornejo, spécialiste de la mémoire de Ravel et président de l’association les amis de Ravel a été exceptionnelle et captivante. C’est une vraie joie aujourd’hui de présenter ce travail abouti et mené en collaboration avec cette équipe hors du commun.