Alors que l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de George Benjamin, donne la version “ballet 1928” du Bolero issue du travail de la Ravel Edition, nous allons revenir sur les liens entre cette oeuvre et l’orchestre néerlandais.
Le premier enregistrement de l’oeuvre avec l’Orchestre du Concertgebouw est à mettre au crédit du légendaire Willem Mengelberg. Gravée en 1930 pour Columbia, cette lecture se caractérise par une accélération du chef dont le tempo métronomique passe de 78 à 86 (à la noire), comme le souligne Alain Pâris dans son article “Quelle importance attribuer aux sources enregistrées ? ” écrit pour le volume 1 Bolero de la Ravel Edition. Alors que la plupart des enregistrements du chef sont régulièrement réédités, ce Bolero est étonnement tombé dans l’oubli et quasi-introuvable. Heureusement Youtube permet aux mélomanes de le retrouver et d’apprécier la pâte de ce musicien au rubato caractéristique.
Les archives de l’orchestre nous apprennent que Mengelberg dirigea 14 fois le Bolero au cours des années 1930 et 1931, à travers les Pays-Bas, mais également en Belgique. En 1932, Ravel en personne est invité à diriger son oeuvre à Amsterdam.
Successeur de Willem Mengelberg en 1945, Eduard Van Beinum était un amoureux de la musique française dont il grava de superbes versions des grandes oeuvres de Berlioz, Franck, Debussy et naturellement il s’attaque à celles de Maurice Ravel. En 1958, il enregistra, pour le label Philips, sa version Bolero, elle est régulièrement réédité.
Le décès inopiné de Van Beinum, âgé seulement de 59 ans, permit à un jeune prodige hollandais d’accéder à la direction musicale de l’Orchestre : Bernard Haitink. Grand admirateur de Ravel, le chef enregistra une anthologie Ravel avec naturellement le Bolero en pièce maîtresse (Philips). Cette version est un classique de la discographie, fidèle et solide pièces maîtresse de nombreuses rééditions et compilations.
A la fin des années 1980, Haitink passa le relais au jeune Riccardo Chailly. C’était la période d’expansion du marché du disque avec la diffusion du CD. Chailly avait un contrat avec la firme Decca qui lui permit de multiplier les galettes, toutes des très haute qualité. Son premier disque avec le Concertgebouw fut dédié aux Tableaux d’une exposition de Moussorgski couplé au Bolero. Bénéficiant d’une prise de son de démonstration, ce disque est considéré comme la référence absolue et il est primé dans de nombreuses discographies comparées. Ainsi, France Musique relève, dans une Tribune des critiques de disque : “Riccardo Chailly, plus extraverti, exalte la réitération rythmique jusqu’à l’ivresse. Fermement tenu, son Boléro culmine dans une impressionnante prolifération, parsemé de couleurs lascives, nonchalantes, où des bouffées d’angoisse se fondent à la danse avec une joie inquiétante. Magistral.” !
L’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse seront les premiers à utiliser le nouveau matériel d’orchestre de la Ravel Edition.
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Concertgebouw d’Amsterdam
Les 17 et 18 janvier 2019, le légendaire Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction du chef d’orchestre et compositeur George Benjamin sera le premier orchestre à jouer le Bolero selon la Ravel Edition. L’Orchestre royal du Concertbebouw d’Amsterdam est intimement lié à cette partition : il en a gravé l’une des toutes premières interprétations au disque sous la baguette de Willem Mengelberg mais aussi, sous la direction de Riccardo Chailly, il a enregistré celle qui est considérée comme la meilleure de la discographie.
Capitole de Toulouse. L’Orchestre National du Capitole de Toulouse, dirigé par le jeune prodige finlandais de la baguette Klaus Mäkelä, donnera la première en France de la version “ballet 1928” : les 24 et 25 mai 2019 au Parvis de Tarbes et à la Halle aux grains à Toulouse.L’Orchestre national du Capitole de Toulouse porte dans son ADN la musique française avec laquelle il bâtit sa réputation internationale sous la direction de Michel Plasson et de Tugan Sokhiev.
Michael Feingold, spécialiste de la musique française, parle de ses orchestrations d’oeuvres pianistiques et vocales de Maurice Ravel. Reproduction avec l’aimable autorisation de Phillip Nones
Michael Feingold, spécialiste de la musique française, parle de ses orchestrations d’oeuvres pianistiques et vocales de Maurice Ravel. Reproduction avec l’aimable autorisation de Phillip Nones
Les lecteurs assidus du site Florent Schmitt + Blog savent que nous sortons des sentiers battus et publions un article mettant l’accent sur un compositeur différent - généralement un contemporain de Schmitt. Parmi les nombreux confrères compositeurs avec lesquels Schmitt a eu des contacts au cours de sa longue carrière, Maurice Ravel était l’un de ceux avec qui il entretint des liens professionnels et personnels durables. Les deux artistes sont nés à cinq ans d’intervalle - Schmitt en 1870 et Ravel en 1875 - et furent tous deux étudiants au Conservatoire de Paris.
Ainsi, ils se retrouvèrent inextricablement liés dans la vie musicale parisienne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Dès le début, nous trouvons les deux compositeurs collaborant aux interprétations de leur musique pour piano - y compris lors d’un voyage à Londres en 1909, au cours duquel ils ont présenté ensemble leurs compositions pour piano quatre mains, en récital au Bechstein (maintenant Wigmore) Hall. Schmitt et Ravel étaient également membres fondateurs de la Société des Apaches, un groupe de musiciens, peintres et écrivains français formé en 1900 qui représentait les des expressions diverses, les moins conformistes de la société artistique parisienne. Outre Ravel et Schmitt, le groupe comprenait des compositeurs tels que Manuel de Falla et Igor Stravinsky, ainsi que des personnalités littéraires telles que Léon-Paul Fargue.
Plusieurs récits ont été écrits sur le moment où Ravel a annoncé au cercle des Apaches qu’il était désormais impossible en fait d’écrire pour piano. Florent Schmitt a ensuite créé son remarquable Les Lucioles (Op. 23, N ° 2) en réaction à la controverse, ce qui a ensuite incité Ravel à composer ses célèbres Jeux d’eau. Cet incident illustre à quel point ces deux personnages étaient étroitement liés dans la vie musicale parisienne au quotidien - et comment chacun se nourrissait de l’inspiration de l’autre. En tant que critique musical de premier plan pendant trois décennies, Florent Schmitt a eu de nombreuses occasions de commenter les interprétations des oeuvres de Ravel. Lors de la première de la Rapsodie espagnole de Ravel en 1908, le deuxième mouvement (Malagueña) suscita une réaction hostile parmi certains auditeurs. En guise de réponse, Schmitt a été entendu, depuis le balcon , apostropher ceux du parterre par : «Une fois de plus, pour les dames et les messieurs ci-dessous qui n’ont pas compris !». L’admiration était réciproque. Après la première représentation du monumental Psaume XLVII de Florent Schmitt au lendemain de Noël 1906, Ravel écrivit au compositeur: «Mon cher Schmitt, ton psaume est si profond et si puissant qu’il a presque détruit la salle de concert !”
[Il est intéressant de noter que Schmitt était moins enthousiaste quant à la pièce la plus célèbre de Ravel - Bolero - la décrivant comme ”une erreur unique dans la carrière de l’artiste le moins sujet à erreur”.] Avec le recul, nous pouvons maintenant reconnaître à quel point la production des deux compositeurs était importante dans le domaine de la musique. Ravel est nettement mieux connu mais les œuvres des deux compositeurs reflètent, selon le musicologue Jerry Rife, «une représentation audacieuse et colorée de ce qui est certainement la période la plus vibrante et passionnante de l’histoire de la musique française». Certes, l’attraction fascinante des partitions captivantes de Ravel a influencé et inspiré les générations successives de musiciens. Très probablement, beaucoup seraient d’accord avec le point de vue du chef d’orchestre et compositeur Esa-Pekka Salonen, qui a déclaré: «Aujourd’hui, l’avenir de la musique classique a beaucoup à voir avec Debussy, Ravel et Stravinsky et moins avec Schönberg, Berg et Webern. ”
Michael Feingold, un orchestrateur dont le parcours artistique l’a fait passer du monde de la pop/rock à la musique classique, rejoint sans aucun doute l’avis de Salonen - en particulier concernant la musique de «l’âge d’or» en France, tel qu’énoncé par le Dr. Rife. En effet, depuis 2014, il a orchestré pas moins de vingt compositions de Ravel créées à l’origine pour piano ou voix.
J’ai pris connaissance des activités de Michael Feingold grâce à des connaissances communes et j’ai trouvé son parcours personnel de «musicien de rock» à «spécialiste de Ravel» tout à fait fascinant. Récemment, j’ai eu l’occasion de lui poser des questions sur ce parcours. Un large résumé de notre discussion est présenté ci-dessous.
PLN: Parlez-nous de votre formation musicale et de la manière dont vous avez appris à vous intéresser aux œuvres de Maurice Ravel Quelle fut l’étincelle?
MEF: Pour répondre à cette question, je suppose que nous devons revenir à mes débuts. J’ai commencé à jouer de la guitare vers l’âge de 12 ans, fasciné par Jimi Hendrix et la musique «grunge», avant de jouer sur MTV. J’ai joué de la guitare dans divers groupes à partir de 15 ans et «cachetonnait» les week-ends alors que j’étais encore au Lycée. Je jouais surtout avec des musiciens plus âgés. Après le Lycée, j’ai étudié la guitare au Berklee College of Music de Boston pendant deux ans. Pendant mes études à Berklee, j’ai commencé à jouer dans un club de jazz historique appelé Wally’s Café, réputé pour être un vivier de jeunes musiciens. Ces expériences ont conduit à ma première tournée en 2005, lorsque j’ai reçu un appel à jouer de la guitare avec Queen Latifah. Après cette tournée, je me suis installé à Los Angeles et j’ai entamé ma carrière professionnelle sur scène et en studio avec des artistes tels que Jay-Z, The Roots, Erykah Badu et Kanye West. Après environ une décennie de tournée dans le monde avec ces artistes pop, j’ai commencé à vouloir quelque chose de plus de plus personnel, et cela a lentement mené à l’orchestration. Je pense que pour moi le moment clef a été de jouer de la guitare pour Jay-Z au Carnegie Hall. J’ai un peu aidé avec quelques arrangements et à ce moment-là, j’ai réalisé que je préférais être l’orchestrateur que le guitariste ! En ce qui concerne «l’étincelle» pour Ravel, je me souviens être en France et acheter quelques partitions de Ravel, puis assis sous un arbre à la campagne, près de Lyon, avant un concert avec Erykah Badu, les lire simplement et tenter d’imaginer intérieurement toutes les sonorités de ces pages. L’étude de ces partitions de Ravel a vraiment fait éclore mon attraction pour l’orchestration. Mes principales études d’orchestration ont été réalisées sous la direction d’Alan Belkin, qui enseignait à l’Université de Montréal - et aussi grâce à de musiciens ayant étudié avec la grande Nadia Boulanger. J’attribue les aspects les plus précieux de mes connaissances à l’enseignement et aux conseils d’Alan. Etant donné qu’il m’a enseigné les éléments fondamentaux de l’esthétique française, j’ai beaucoup appris sur le raffinement, la clarté et la transparence avec l’utilisation de des couleurs pures. Je considère qu’il s’agit essentiellement d’aspects «français» ; J’espère que je ne suis pas “stéréotypé” !
PLN: Au-delà d’Alan Belkin, y a-t-il d’autres mentors ou musiciens qui ont influencé votre développement en tant qu’orchestrateur?
MEF: En ce qui concerne l’influence harmonique, je dois citer le compositeur et arrangeur germano-américain Claus Ogerman. Ses harmonies me renversent, en particulier ses Lyric Suite et Elegia.
PLN: Pour en revenir à Ravel, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont sa musique vous parle de manière si convaincante?
MEF: Je me suis d’abord intéressé à Ravel en tant qu’auditeur. Je me souviens avoir passé de nombreuses heures dans le bus de tournée à écouter ses morceaux de piano tout en regardant par la fenêtre. C’était peut-être un antidote au genre de musique que je jouais en tournée, mais j’ai trouvé les harmonies de Ravel si élégantes et magnifiques, et son architecture musicale et sa forme inhabituellement inattaquable et indestructible. Plus tard, alors que je poursuivais mes études d’orchestration, je revenais sans cesse aux partitions de Ravel, les admirant pour leur savoir-faire et sens du détail. J’ai vraiment travaillé, ligne par ligne , pour comprendre comment il assemblait le tout. Ce que j’ai découvert au cours de ce processus, c’est que rien dans les orchestrations de Ravel n’est laissé au hasard et que le résultat est cette sorte de perfection rarement rencontrée, même dans la musique classique. Cette première étape m’a conduit à vouloir découvrir les manuscrits de Ravel, par lesquels je pouvais comparer les partitions imprimées à ce que le compositeur avait créé à l’origine. Et il y avait de nombreuses divergences, comme il s’est avéré…
PLN: Y a-t-il d’autres compositeurs français de la même époque qui vous captivent autant que Ravel ?
MEF: Charles Koechlin a eu une grande influence sur moi en tant qu’orchestrateur. J’ai soigneusement étudié les quatre volumes de son Traité d’orchestration et j’en suis devenu bien meilleur. Koechlin était un enseignant très généreux et n’a jamais ménagé ses efforts pour expliquer cet art. Par Ravel et Koechlin, j’ai aussi découvert Florent Schmitt, Louis Aubert, Marcel Tournier et Maurice Delage, sans oublier la génération précédente de maîtres français, notamment Massenet, Saint-Saëns, Fauré, Chabrier et André Gédalge. Dans l’ensemble, c’est un patrimoine musical hors du commun, un don de la France au monde.
PLN: Passons à votre activité avec vos orchestrations raveliennes. Quand ce travail a-t-il commencé pour vous?
MEF: Mon travail a commencé à l’automne 2014, lorsque je suis revenu de Los Angeles. La première pièce que j’ai retranscrite pour orchestre est un Prélude que le compositeur a créé en 1913 pour permettre aux étudiants de lire des tests de lecture à vue au Conservatoire de Paris. En préparant cette orchestration particulière, l’harmonie et la simplicité me rappelaient beaucoup Ma Mère l’oye, qui fut donc mon modèle. Ce prélude était la première des vingt compositions de Ravel que j’ai maintenant orchestré. En travaillant sur chacun d’entre eux, je me suis rendu compte à maintes reprises que Ravel était l’un des plus grands orchestrateurs de tous les temps - peut-être même le meilleur. C’est assez intimidant – et demande de l’humilité - d’orchestrer quoi que ce soit de Ravel. Comment faire mieux que Ravel - ou même approcher ce niveau d’art et d’artisanat ? J’essaie simplement de clarifier, d’affiner et de “peaufiner”, comme je pense que Ravel l’aurait fait.
PLN: Avez-vous une réalisation favorite parmi toutes les orchestrations Ravel que vous avez préparées?
MEF: Je pense que je suis le plus satisfait avec Sur l’herbe. Toutes les textures de piano originales de cette composition de 1907 sont de nature très orchestrale. Je me suis souvent demandé pourquoi Ravel n’avait pas choisi de l’orchestrer lui-même.
PLN:Cette tentative semble tellement importante - pas seulement les nouvelles orchestrations, mais aussi le travail que vous avez accompli pour identifier les erreurs de copie dans les partitions publiées par Ravel…
MEF: En effet ça l’est ! Mon travail de collecte des erreurs dans les éditions imprimées a commencé comme un exercice d’étude mais j’estime qu’il est très utile à quiconque souhaite préparer des éditions critiques de la musique. J’ai rassemblé toutes les reproductions des manuscrits de Ravel que l’on peut trouver dans diverses collections. Au cours du processus, j’ai découvert tant d’erreurs et de divergences, y compris des erreurs qui manquent même dans des éditions critiques récentes.
En plus de cette entreprise, je me suis également concentré à écrire sur le style orchestral de Ravel. L’une de ses recherches porte sur ses préférences d’orchestration, y compris son traitement de la couleur et de la clarté. Une autre explique comment Ravel a orchestré sa propre musique pour piano (ainsi que les œuvres pour piano de compositeurs tels que Debussy pour sa Danse et Sarabande), et examine des gestes spécifiques en utilisant une analyse avant / après côte à côte du piano à l’orchestre. Mon titre provisoire pour ce livre est Textures & Gestures of Maurice Ravel.
J’ai le sentiment que les orchestrations de Ravel publiées présentent un vide en ce sens que les parties de piano originales ne sont pas associées en bas de page, à l’exception de l’édition des Tableaux d’une exposition chez Eulenburg par Arbie Orenstein. En tant qu’orchestrateur, voir les deux ensembles est très précieux car vous pouvez vraiment discerner ce à quoi Ravel pensait dans l’instrumentation. J’ai déjà préparé de nombreuses œuvres de cette manière comme support pédagogique et j’espère les publier ultérieurement avec François Dru dans le cadre de la merveilleuse Ravel Edition réalisée de concert avec Les Amis de Maurice Ravel. J’aimerais également mentionner que je suis très reconnaissant pour l’aide généreuse que j’ai reçue dans mon travail d’un groupe d’éminents érudits de Ravel. Outre Arbie Orenstein, ils incluent Manuel Cornejo, Stephen Zank, Yegor Shevtsov et Emily Kilpatrick.
PLN: Y a-t-il certains chefs d’orchestre sur la scène aujourd’hui qui, selon vous, sont particulièrement efficaces pour transmettre un style Ravel authentique dans leurs interprétations ?
MEF: J’adore le talent artistique de Stéphane Denève, aussi avec Leonard Slatkin et François-Xavier Roth. Je possède tous leurs enregistrements des œuvres de Ravel.
PLN:Au-delà de Ravel, je crois comprendre que vous avez également été impliqué dans un projet concernant les éditions publiées de Durand. Pouvez-vous me parler de cette initiative ?
MEF: Le but de ce projet est de créer une reproduction fidèle du «style maison» Durand et fils des partitions musicales publiées. Au cours des trois dernières années, je me suis efforcé de recréer le fameux «look» Durand, qui est si élégant et si attrayant si on le compare aux styles d’autres maisons d’édition. Comme vous le savez, Durand était l’éditeur de tous les compositeurs français que nous adorons tous - Debussy, Ravel, Florent Schmitt, Roussel, Aubert et tant d’autres. Je considère ce projet très important car Durand a abandonné ce «style maison» il y a longtemps et il n’existe aucune musique commerciale ou police de texte de cette époque révolue. La ressusciter a été un «travail d’amour» exhaustif, c’est le moins qu’on puisse dire !
PLN: Cela ressemble à une entreprise ardue. Dites-nous comment vous avez abordé ce travail ?
MEF: J’ai commencé par une rare première édition de L’Heure espagnole de Ravel, publiée par Durand en 1911. En fait, j’ai obtenu deux exemplaires de cette première édition, dont l’un ayant appartenu au compositeur américain David Diamond, ami de De Ravel. (Cette édition contenait également quelques notes de la propre main de Diamond concernant l’orchestration de Ravel.)
L’approche consistait à balayer chaque glyphe musical en haute résolution (têtes de note, hampes, clés, lignes, nombres, etc.). Cela a été fait cinq fois. Sur les cinq «spécimens» numérisés, l’étape suivante consistait à les placer et les retracer dans un logiciel, et enfin à les placer dans le logiciel de notation Sibelius. Mais c’est même plus compliqué que cela. En plus de créer toute la musique et les polices de texte, vous devez être «scientifique» et étudier soigneusement tous les espacements et les épaisseurs de lignes, l’angle des ligatures et bien d’autres facteurs qui entrent en jeu pour recréer le style maison de Durand.” Inutile de dire que c’est un projet qui a pris plusieurs années à être mis en place. À ses débuts, il ne s’agissait que de moi-même et de mon merveilleux collaborateur copiste, Matthew Maslanka, de New York. Plus tard, j’ai rencontré Jawher Matmati, un musicien Tunisien résidant maintenant en Belgique, qui partageait notre amour pour le «style maison» de Durand et qui avait déjà commencé à créer sa propre police musicale. Lui et moi avons commencé à collaborer sur les étapes laborieuses du processus. Nous avons engagé une quatrième personne - Wesselin Christoph Karaatanassov en Bulgarie - un copiste qui devait tracer nos numérisations à l’aide d’un logiciel. Une fois cette tâche terminée, Jawher se chargeait de placer chaque glyphe dans le logiciel Sibelius et de le redimensionner correctement. C’était une entreprise véritablement transnationale!
PLN: Où pouvons-nous voir les applications du «style maison» Durand recréé aujourd’hui ?
MEF: Pour le moment, je l’utilise pour mes propres orchestrations de la musique de Ravel et pour les exemples dans les livres que j’écris. Il a également été utilisé au début de la préparation de la nouvelle édition de Bolero de publiée cette année en collaboration avec Les Amis de Maurice Ravel et la Fondation Maurice Ravel, mais ce projet a pris une direction différente en cours de production.
Je vois aussi que le “style maison” Durand est très précieux pour quiconque souhaite graver une musique présentant ce visuel classique. Par exemple, si une composition de Florent Schmitt n’existait que sous forme manuscrite - telles que ses envois de Cantates au Prix de Rome ou le premier poème symphonique Combat de Rakshasas et Délivrance de Sitâ, inspirés du Ramayana ou encore, la grande œuvre chorale Fête de la lumière qui inaugura les spectacles nocturnes de lumière et grandes eaux à l’Exposition de Paris de 1937 - utiliser ce «style maison» Durand recréé serait 100% fidèle à cette période.
A propos, lorsque j’ai montré les résultats de nos efforts à François Dru, le responsable éditorial de la nouvelle édition de Bolero qui avait déjà travaillé pour la maison d’édition Durand-Salabert-Eschig à Paris, il a écarquillé les yeux !
PLN: Quels sont vos futurs plans et projets musicaux concernant Maurice Ravel et au-delà?
MEF: J’ai toujours un pied dans le monde de la R&B et de la musique pop. Je continue de travailler de manière intensive dans l’orchestration de films et de jeux vidéo, notamment comme orchestrateur principal dans la série Bungie des Destiny.
Au cinéma, ma plus grande influence est probablement Conrad Pope qui a préparé les orchestrations pour John Williams, Alexandre Desplat, James Newton Howard, Danny Elfman et d’autres. Pour moi, Conrad est le Ravel des orchestrateurs de cinéma - et il a également eu la gentillesse de répondre à des questions occasionnelles de ma part comme je travaillais dans ce domaine.
Je viens d’être informé que l’album que j’ai coécrit et sur lequel je joue, intitulé Chris Dave and The Drumhedz a été nominé pour le prix GRAMMY® de cette année en tant que «Meilleur album urbain contemporain». J’ai également l’intention de continuer à enseigner en privé, ce que je fais depuis un certain temps. Pour Ravel, mon objectif le plus immédiat est de prendre un congé sabbatique de mes autres activités, de louer une maison près de Monfort l’Amaury où vivait Ravel et de compléter mes livres sur Ravel. J’aimerais aussi examiner la collection de la Bibliothèque nationale de France, qui contient tant de manuscrits parmi les plus rares et les plus remarquables de Ravel.
Au-delà de cela, un rêve à long terme serait de faire jouer mes orchestrations de Ravel individuellement ou sous forme de programme complet. J’aimerais beaucoup les voir publiées en tant que collection.
Étant donné les efforts considérables de Michael Feingold en faveur d’un compositeur universellement aimé qui nous a laissé relativement peu d’œuvres orchestrales, il serait excellent que ses nouvelles orchestrations de Ravel soient mis à la disposition des chefs et orchestres. La liste ci-dessous répertorie les vingt orchestrations classées par année de composition originale:
Sérénade grotesque (1892-93) / Ballade de la reine morte d’aimer (1893) / Un grand sommeil noir (1895) / Sainte (1896) / Si Morne (1898) / Jeux d’eau (1901) / Manteau de fleurs (1903) / Menuet en ut mineur (1904) / Les grands vents venus d’outre-mer (1906) / Sur l’herbe (1907) / Le gibet (de Gaspard de la nuit) (1908) / Menuet sur le nom de Haydn (1909) / Tripatos (1909) / À la manière de Borodine (1912-13) / À la manière de Chabrier (1912-13) / Prélude (1913) / Trois chansons (1914-15) / Berceuse sur le nom de Gabriel Fauré (1922) / Ronsard à son âme (1923-24) / Rêves (1927)
Crédits photographiques : / Michael Feingold / La maison et le studio de Michael Feingold dans les montagnes du Berkshire, dans l’ouest du Massachusetts rural. Cette maison historique à l’architecture importante constitue l’environnement idéal pour ses activités d’orchestration, notamment la préparation de vingt partitions de Ravel. Le chat sur la photo s’appelle Mouni, d’après le propre chat de Ravel/ Michael Feingold au travail dans son studio dans les Berkshires / Première page de l’orchestration par Michael Feingold de la composition Sur l’herbe de Maurice Ravel datant de 1907, préparée en 2016 / Un exemple de la recréation du «style maison» de Durand. Le projet consistait en un effort pluriannuel impliquant une équipe transnationale d’experts dirigée par Michael Feingold.